Jean-Michel et Philippe Saive: de la petite balle blanche à la petite balle blanche
De gauche à droite: Jean-Michel Saive et Philippe Saive
Jean-Michel Saive fait partie des plus grands sportifs belges de tous les temps. Son frère Philippe et lui ont révolutionné le tennis de table et mis ce sport sur le devant de la scène. Aujourd’hui tous deux reconvertis, ils se passionnent pour le golf. Philippe est un homme surbooké jonglant entre son engagement politique d’échevin à la commune de Ans en région liégeoise, sa contribution à l’organisation du Voo Rire Festival de Liège aux côtés des frères Taloche et ses activités d’entrepreneur organisateur d’événements. Jean-Michel, quant à lui, a été récemment nommé Président du Comité Olympique Interfédéral Belge, une fonction qui l’emmène aux quatre coins du monde à la rencontre des instances dirigeantes du sport. C’est entre deux avions que Jean-Michel a accepté de répondre aux questions de Birdie, avec la complicité de son frère Philippe.
BIRDIE: Chez les Saive, le tennis de table, c'est une histoire de famille. Votre amour pour le tennis de table vient-il de vos parents ?
J-M: Oui, c’est une histoire de famille. Mes parents jouaient tous les deux. Mon père a été dixième joueur belge, l’année de la naissance de mon frère. Ma mère était championne de Belgique en double dames,de la série B, alors qu’elle était enceinte de moi. Nous avons commencé sur la table de la cuisine, du salon, de la salle à manger. Quand j’avais presque neuf ans et Philippe sept, nous sommes allés au club et nous avons vraiment commencé. C’est en effet une histoire de famille!
P: Je ne peux pas dire que nos parents nous ont insufflé l’amour du tennis de table. Nous sommes allés les voir quelques fois. Nous avons voulu essayer, nous avons bien aimé. Puis rapidement, nous avons vraiment commencé à jouer et avons très vite démontré des aptitudes. Tellement vite que Jean-Michel était en équipe nationale à treize ans, chez les seniors, pas en équipe jeune! Mais effectivement nous étions dans un environnement où il n’y avait que ça.
Une histoire de famille
BIRDIE: Est-ce que vos enfants jouent maintenant ?
J-M: Non. J’ai un fils de 23 ans et une fille de 14 ans. Ma fille ne joue pas du tout. Je sais que mon fils jouait sur sa pause du midi au travail. Il n’a jamais joué en compétition, il ne s’y est pas mis.
P: Mon fils joue B4, en équivalent golf c’est single handicap, entre 6 et 8. Il joue aussi au golf mais pratique peu même s’il est quand même 6.7.
J-M: Il a commencé tôt, il a la belle technique. Il nous met 60, 70 mètres au driver.
P: Mon fils est très bon dans les sports de combat. Sa mère était championne du monde de judo et dit qu’il pourrait être ceinture noire. Il fait partie de ces gamins qui sont doués dans tout mais qui n’excellent dans rien parce qu’ils ne choisissent pas leur discipline. Pour être excellent, il ne faut faire que ça et durant des années.
BIRDIE: Vos parents avaient-ils une méthode particulière pour vous faire émerger en tant que grands champions ?
P: Mon père était conscient qu’il valait mieux que les parents restent des parents et ne soient pas les coachs. L’idée de mon père, c’était de nous mettre dans les mains des meilleurs, d’essayer de mettre la pression par derrière pour avoir des gens qui soient bons et qui puissent s’occuper de nous. Il n’y avait pas de méthode particulière ni d’entraînement révolutionnaire. C’était une aventure collective. Nous avons montré des aptitudes qui étaient meilleures que la plupart. Jean-Michel est un athlète hors du commun, tout sport confondu. Il fait partie des cinq plus grandes icônes de l’histoire du sport belge. Quand il y a un leader comme lui, ça tire tout le monde, que ce soit dans sa famille, dans ses équipiers en club ou en équipe nationale. C’est aussi l’une des raisons pour laquelle derrière, la dynamique de groupe est meilleure. Il n’y a aucune équipe qui arrive au top sans leader et c’est vrai dans n’importe quel sport. Il ne faut pas avoir des mecs avec des egos surdimensionnés qui pourraient, par exemple, faire le déplacement en char à voile (Rire). Pour faire le parallèle avec l’équipe de France, Zidane et Deschamps tiraient leurs partenaires vers le haut. Derrière, même des joueurs qui n’étaient pas des superstars devenaient très bons parce qu’ils étaient encadrés. Si ça marche un peu moins bien maintenant, et si par exemple le PSG ne performe pas très bien, c’est à cause des egos surdimensionnés des uns qui font que la mayonnaise ne prend pas du point de vue collectif.
J-M: Nous avons eu la chance que nos parents étaient des connaisseurs du ping au départ. Mais le plus important, c’est qu’ils ne nous ont pas poussés, ils ne nous ont pas forcés. D’ailleurs, ma mère aurait préféré que nous fassions autre chose, parce que le ping-pong – et je dis volontairement le ping-pong, pas le tennis de table – cela se jouait dans les arrières salles des cafés, enfumées à l’époque. Ce n’était pas dans de beaux locaux comme aujourd’hui. Ma mère n’avait pas envie de mettre ses enfants dans la fumée de cigarettes. Je pense que nos parents ont rapidement réalisé que Philippe et moi aimions ça, que nous étions passionnés, que nous avions la rage, l’envie de progresser. Ça s’est fait naturellement, sans nous pousser, mais en même temps, ils avaient compris et senti ce qu’il fallait faire pour aider les enfants. Ils nous conduisaient partout. Nous avions la chance que notre mère était secrétaire du club et que nous habitions à 500 mètres. Plus tard, nous avons acheté un mini-bus pour les déplacements un peu partout en Europe. Nos parents étaient vraiment présents sans nous pousser. C’est aussi plus facile pour les parents quand le samedi et le dimanche, tes enfants gagnent en minime pour l’un et en cadet pour l’autre, puis en senior…
Première victoire en double minime pour les frères.
BIRDIE: Avez-vous malgré tout pratiqué d'autres sports pendant l’enfance ?
J-M: J’ai en effet joué deux ans au foot avant le tennis de table puis j’ai combiné. Mais dans le club de foot de Ans, j’étais simplement libéro alors qu’au ping, après un an et demi, j’étais champion de Belgique minime. J’ai dû faire un choix et entre champion de Belgique et libéro de l’équipe du village, le choix était vite fait. À partir de neuf ans, quand j’ai vraiment commencé le ping et que ça s’est accéléré, c’était parti pour toujours. Nous avons aussi joué au tennis avec Philippe mais principalement en vacances. Nous avions un bon niveau dans tous les sports de raquettes sans faire de compétition. Ensuite, j’ai commencé le golf vers 25ans. C’était plus complémentaire avec une carrière sportive. Le tennis est beaucoup plus fatiguant, plus traumatisant. J’aime toujours énormément le tennis mais je ne joue plus car je sais que je vais avoir mal aux genoux, aux adducteurs. Le golf est plus adapté.
P: J’ai moi aussi joué au foot jusqu’à mes douze ans. Ce n’était pas possible de combiner les deux sports donc j’ai dû faire un choix. J’ai suivi le choix de mon frère parce que c’était la route tracée devant moi, sans que ce soit véritablement un choix: ça paraissait naturel. Je suis convaincu que si j’avais continué de jouer au foot, en arrêtant le ping, cela aurait été compliqué tant pour moi que pour Jean-Michel. Il n’y a quand même pas beaucoup d’exemples où deux frères sont bons dans deux sports différents. Si les parents doivent gérer des déplacements de deux côtés, ça affaiblit les forces de tout le monde.
BIRDIE: Au cours de votre carrière, vous avez participé à l'évolution de votre sport, à sa professionnalisation, au changement de statut du pongiste. Vous êtes-vous rendu compte des changements ? Qu’est-ce que ça vous inspire aujourd’hui ?
J-M: Je dirais que c’est d’abord ma mère qui est à l’origine des changements. Elle allait dans les différents journaux locaux pour communiquer les résultats de ping. Une fois qu’on a eu des bons résultats, notamment en catégorie jeune lorsque j’ai été champion d’Europe cadets, la médiatisation a commencé. Assez vite, je suis devenu vice-champion d’Europe junior et champion de Belgique. La machine était lancée. Puis, le club de La Villette Charleroi a voulu jouer les premiers rôles sur la scène européenne. Entre La Villette et l’équipe nationale avec Philippe, il y a eu un engouement. Nous avons su prendre l’espace médiatique à un moment où il était laissé libre par d’autres sports. Avoir des résultats, une équipe jeune, dynamique, en plein boom, ça a permis d’être suivis par la télévision. Durant dix ans, les matches de l’équipe nationale et ceux de La Villette Charleroi étaient diffusés en direct avec pour conséquence une popularisation incroyable du sport. Cela nous a rendus populaires, à tel point que j’ai été sacré sportif de l’année à deux reprises. Je dirais qu’au-delà de mes résultats sportifs, avoir réussi à faire que le ping-pong devienne le tennis de table, c’est une fierté. Pour que la télévision suive notre sport pendant dix ans, c’est qu’il se passait quelque chose. Le fait de jouer devant 3000 personnes alors qu’on venait de nulle part aussi. Le record c’était 6000 personnes à Charleroi en 2002.
P : Pendant notre carrière, nous n’avons pas vraiment réalisé ce qui se passait parce que nous avancions et quand on avance, on ne regarde pas nécessairement derrière. C’est une fois que tu t’arrêtes et que tu te poses que tu réalises le chemin parcouru. A présent, la Chine n’a pas perdu depuis vingt ans. La dernière fois, c’était contre nous. En vingt ans, personne n’a réussi à battre la Chine. Il y a seulement trois joueurs, sur les cinquante dernières années, qui ont réussi à gagner deux fois deux matches contre la Chine dans un match par équipe. Je l’ai fait deux fois. Les deux autres, ce sont les Suédois Waldner et Persson. On parle du monde entier sur cinquante ans !
BIRDIE: Parmi tous vos matches, lequel a été le plus beau ?
J–M : Impossible à dire mais quand on me pose la question, je dis toujours la finale du Top 12 européen à Arezzo en 1994. J‘avais été vice-champion d’Europe en 1992, puis champion du monde en 1993 et à la finale du Top 12 en 1994, je joue contre le Suédois Jan-Ove Waldner, numéro un mondial. Avant la finale, je sais que si je gagne, en plus de la victoire, je remporte le titre de numéro un mondial. Le fait de devenir numéro un mondial en battant le numéro un mondial a été le moment le plus fort de ma carrière.
P : Le plus beau est pour moi le fameux Belgique-Chine. La Belgique bat la Chine et je bats le champion olympique. Ça, techniquement, c’est le plus beau, le match le plus important dans ma carrière. C’était la première fois où la Belgique jouait la finale de la Ligue européenne. On pouvait comparer ça à la Coupe Davis en tennis : la ferveur et l’importance étaient la même. La première fois où la Belgique est en finale, on joue contre la Suède qui était championne du monde, et je joue contre Waldner, numéro un mondial, champion du monde et champion olympique. Je le bats dans mon pays, à la première finale que je joue ! Ce match a vraiment changé beaucoup de choses dans ma carrière et donc dans ma vie. C’était un match qualitativement incroyable avec beaucoup d‘émotion et d’ambiance.
Jean-Michel Saive en pleine action lors de son dernier match.
BIRDIE: Quelle est la plus belle compétition à laquelle vous avez participé ?
J-M : La compétition la plus mythique, ce sont les Jeux. Je dirais même les premiers Jeux. Quand je suis arrivé en 88 à Séoul, à 18 ans, au milieu de toutes ces grandes stars de l’époque : Carl Lewis, Ben Johnson, Steffi Graf, c’était quelque chose. Tous les grands champions que je suivais à la télévision étaient là. C’était juste dingue de pouvoir participer aux Jeux avec eux. D’autant plus que c’était la première fois que le ping était une épreuve aux JO ! J’ai eu la chance de me qualifier pour pouvoir vivre cela. J’ai dû battre cinq adversaires mieux classés que moi au tournoi de qualification en 1987 pour y arriver. Séoul 88 était vraiment le plus grand tournoi ! J’ai participé sept fois aux JO mais jamais avec cette vision.
P : De mon côté, j’ai aimé la Ligue européenne, que l’on peut comparer à la Coupe Davis, parce que c’était une aventure collective. Même si le ping est un sport individuel, il est quand même très souvent pratiqué en équipe et j’étais fait pour jouer des sports d’équipes plus que des sports individuels. Mes plus grands résultats personnels ont toujours eu lieu en équipe, que ce soit en Champions League que j’ai gagnée deux fois avec le Borussia Düsseldorf, la Ligue européenne gagnée deux fois avec la Belgique ou la finale des championnats du monde. Tout ça, c’est collectivement. Ça me fait bizarre de parler de ping parce que c’est tellement loin maintenant ! (Rire)
BIRDIE: Quel est le plus beau souvenir que vous avez l'un de l'autre ?
P : Le meilleur match de Jean-Michel pour moi : le match contre Jörg Roßkopf en finale de la Ligue européenne, ici à Ans. On joue en finale, il joue le match décisif contre Roßkopf en 1995. Il termine à peu près par 13, 14 ou 15 points d’affilée. 15-1 pour finir. Celui-là était monstrueux, à la fois en qualité et en importance.
J-M : C’est compliqué. Philippe n’avait jamais battu le Suédois Jorgen Persson mais il l’a battu en premier match en demi-finale des championnats du monde à Osaka alors que la Suède était championne du monde en titre ! Cela nous a permis de mener 1 à 0. Au final, nous avons gagné 3-1 pour faire notre plus grand résultat et être vice-champions du monde face à la Chine ! Ce n’est pas nécessairement le match que Philippe a le mieux joué mais c’est une victoire symbolique décisive.
P : Oui, c’était plus symbolique. Toi en 95, tu as les deux. Le match est important et tu as joué comme un rouleau compresseur.
BIRDIE: Pensez-vous que la nouvelle génération belge va pouvoir continuer sur votre lancée et porter le tennis de table vers ses hauteurs ?
P : Oui. Je pense qu’on est à l’aube d’une génération positive et à mon avis la meilleure depuis que nous avons mis un terme à nos carrières. Mais le haut niveau, c’est compliqué. Le sport a fortement changé, y compris les compétitions. La Belgique recommence à avoir de bons joueurs, notamment un jeune de dix-huit ans sur lequel on peut avoir de l’espoir. Ce ne sera peut-être pas pour aller au même niveau que Jean-Michel, parce que ça, personne ne va jamais y arriver. L’équipe vient d’aller en huitièmes de finale aux Championnats du monde, c’est la première fois depuis notre époque !
J-M : Après ma carrière, j’ai été directeur technique dans les années noires, noires, noires. Nous étions dans un tunnel sans lumière au bout. Nous recommençons à voir la lumière. Effectivement, comme Philippe le dit, huitièmes de finale aux Championnats du monde, c’est bien. Je pense qu’il y a des joueurs qui ont atteint une certaine maturité et le jeune qui arrive va les pousser. A eux de prendre leur destin en mains et de continuer, mais il faut profiter de ce momentum-là pour continuer à franchir d’autres étapes. La traversée du désert a été longue et il a fallu mettre beaucoup de choses en place. Le tennis de table est un sport très technique, tout comme le golf ! Il faut énormément de temps avant d’arriver, et donc c’est un peu le fruit de tout ça qui commence à apparaître.
BIRDIE: Pendant votre carrière, pensiez-vous à l’après ? A une carrière de dirigeant, de directeur technique?
J-M : Non, les choses se sont faites petit à petit, grâce à un concours de circonstances. Je me suis toujours dit que je préférais faire l’année de trop que l’année de trop peu, donc j’ai joué extrêmement longtemps. Mais à partir de 35 ou 40 ans, je ne pouvais plus m’entraîner comme avant et j’avais donc du temps. Je dirais que j’ai commencé à penser à l’après vers 40 ans, quand la fédération m’a demandé de devenir consultant, ce que j’ai accepté. Après mes derniers Jeux en 2012, on m’a demandé de devenir directeur technique, ce que j’ai accepté, mais tout en continuant à jouer parce que j’aimais encore ça. Arrivé à la fin de ma carrière, j’avais progressé dans les échelons officiels. C’est la continuité du sport, donc je dirais que j’ai simplement changé d’habits. À un moment donné, j’ai rouillé (Rire). Mais la passion et la motivation sont là et j’espère que j’arrive à transmettre mon expérience et un certain dynamisme aux générations futures.
P : J’ai commencé à y penser un peu plus tôt alors que je n’avais pas encore 30 ans. Intellectuellement, j’étais intéressé par d’autres choses. J’ai amorcé ma reconversion pratiquement dix ans avant la fin de ma carrière. D’abord, ma société a repris l’organisation de tous les matches de Ligue nationale ainsi que le marketing de l’équipe. J’ai fait ça tout en jouant pendant sept ou huit ans. Jean-Michel se moque toujours de moi en disant « Il va cuire les petits fours et il va un peu s’échauffer. Il les sort du four et pendant que quelqu’un les sert, il va jouer un match. ». C’était à peu près ça, je devais faire en sorte que les petits fours soient prêts, je prenais des pros, des équipes qui travaillaient pour moi. Avec le recul c’était juste dingue. Il ne s’agissait pas de jouer un interclub avec les copains le samedi soir (Rire). Par exemple, le match contre la Chine, j’ai organisé l’événement « retour », y compris les petits fours !
BIRDIE: Vous avez eu de très longues carrières. Est-ce que c'est un moment difficile de s'arrêter après tant d'années ?
P : Non. Mais c’est un changement.
J-M : Ça va, tu joues encore (Rire).
P : J’ai arrêté en deux temps, j’ai arrêté de jouer en équipe nationale quand j’avais 37 ans. Il y a déjà 14 ans maintenant. J’aurais encore pu continuer à jouer en équipe nationale pendant un an ou deux, mais je sentais que les jeunes arrivaient, je bloquais une place par mon palmarès, mon nom et le fait que j’organisais les matches. Je ne suis pas sûr que l’entraîneur aurait osé me mettre dehors. J’avais fait mon temps en équipe nationale. J’ai quand même continué à jouer en club et la dernière année j’ai joué au Logis Auderghem. J’étais déjà devenu échevin dans ma commune. J’organisais la Coupe du monde cette année-là, j’étais vraiment au bout de mes ressources physiques.
J-M : Ça a été beaucoup plus facile que je l’aurais cru ! Et donc j’ai arrêté en trois temps. Quand j’ai gagné mon vingt-cinquième titre de champion Belgique en 2014, j’ai décidé que c‘était le dernier. Et puis, en 2015, je me suis qualifié pour les premiers Jeux européens, c’était un challenge aussi pour moi. Après cela, j’ai arrêté de jouer sur le circuit international, en étant numéro un belge. Dans la période où j’ai été directeur technique, j’acceptais d’être sélectionné car j’étais toujours numéro un belge. Il n’y avait pas de conflit d’intérêt. J’ai arrêté en étant numéro 1. Ensuite j’ai encore joué trois, quatre ans dont deux années de trop. Quand j’ai arrêté, je l’ai senti, j’étais soulagé d’arrêter, j’avais quand même 49 ans. Donc je n’ai eu aucun regret : c’était le bon moment. D’ailleurs je ne joue plus du tout. Je ne joue que dans le cadre de démonstrations ou de shows. Mais s’il s’agit purement de mon plaisir, je vais faire autre chose, comme du golf ou du vélo.
BIRDIE: Philippe, vous faites un grand écart entre le tennis de table, l'humour avec l’organisation du Voo Rire Festival de Liège et la politique où vous êtes engagé depuis de nombreuses années. Comment gérez-vous cette polyvalence ?
P : Je suis conscient d’être privilégié. Je fais ce que je dis, c‘est à dire que je préconise aux gens d’essayer de faire les choses qu’ils aiment. Quand tu aimes ce que tu fais, tu peux être très occupé, ça n’est jamais une corvée parce que tu fais ce que tu aimes. Juste avant l’interview, j’étais en réunion avec les équipes du ministre Daerden. Il y a un spectacle en hommage à son père et il faut s’occuper de la production. Je sors du festival du rire avec près de 20 000 spectateurs et 47 représentations. C’était grisant de voir des salles pleines, les spectateurs debout qui applaudissent les artistes qu’on a choisis, de voir qu’ils aiment ce que l’équipe a préparé. L’avantage du spectacle par rapport au sport, c’est qu’en sport on n’est jamais certain du résultat. Tu joues mal, le match est nul, les gens ne s’amusent pas. Avec les artistes, tu as rarement des déceptions et l’objectif de divertir est souvent atteint. Comme la situation économique, géopolitique et sanitaire est très anxiogène, les gens ont besoin de rire. La politique, c’est un autre axe. Par exemple, nous sommes ici dans un complexe sportif qui ravit les utilisateurs (L’interview a été réalisée dans le complexe sportif de Ans, ndlr). La surface pour le tennis est là parce que j’ai réussi à convaincre d’autres personnes de me suivre et de mettre des moyens dans ce projet. Nous allons bientôt construire des terrains de padel et nous avons une salle de ping. Nous avons sans doute le plus beau pôle « raquettes » de la province, voire du pays. Le fait de faire de la politique au niveau communal permet des réalisations concrètes.
BIRDIE: Et toi Jean-Michel, ton engagement ?
J.M : Driver au 1. (Rire). On revient à l’essentiel !
BIRDIE: Tu es président du COIB, le Comité Olympique et Interfédéral Belge, quel est ton rôle ?
J.M : Le COIB accompagne les 82 fédérations membres en Belgique, qu’elles représentent des sports olympiques ou non. Mon but en tant que président est d’être proche de tous les athlètes et de toutes les fédérations. Je suis allé tout récemment voir la natation, le cyclo-cross, les échecs, le football, le cyclisme… Je travaille en binôme avec Cédric Van Branteghem, lui aussi ancien Olympien, sprinter sur 200 et 400 mètres. Le COIB ne travaille pas que sur les JO, tous les quatre ans. Notre objectif est de mettre les athlètes dans de bonnes conditions pour les Jeux Olympiques mais aussi les Jeux Mondiaux, les Jeux Européens ou pour le Festival Olympique de la Jeunesse Européenne.
Parallèlement à l’aspect sportif, nous sommes en pleine création de la Belgian House, sur les Champs Élysées, pour accueillir 2000 belges par jour durant les Jeux de Paris. L’idée est de permettre aux visiteurs de voir les athlètes en direct sur écran et aux entreprises de nouer des contacts. Nous travaillons conjointement avec la Fédération des Entreprises de Belgique et les régions pour l’organiser.
Jean-Michel Saive lors du tournoi Golf to Paris organisé par le COIB.
BIRDIE: Quelles sont les ambitions de la Belgique pour les JO de Paris 2024 ?
J.M : Nous sortons de deux belles éditions des Jeux, en été et en hiver, qui confirment la bonne dynamique du sport belge. Nous sommes passés de deux médailles aux JO de Londres à sept médailles aux Jeux de Tokyo et nous avons obtenu notre première médaille d’or depuis 1948 aux derniers JO d’hiver. L’année post-olympique s’est elle aussi très bien déroulée avec de bons résultats durant les championnats du monde. En tennis de table, l’objectif est d’accrocher une qualification et de participer aux Jeux, en simple ou en double. Pour le golf, l’objectif est d’avoir deux participants hommes et au moins une dame. Thomas Pieters avait terminé quatrième aux Jeux de Rio. Certains peuvent nous donner favoris mais dans ce sport, rien n’est écrit à l’avance : il y a toujours des surprises et des outsiders.
Jean-Michel Saive, porte-drapeau de la Belgique aux J.O
BIRDIE: Vous jonglez entre le sport, l’entrepreneuriat, la politique ou même les plus hautes responsabilités sportives. Est-ce que ça vous laisse le temps de jouer au golf ?
P : Quand on aime, on trouve !
J-M : Quand on aime, on trouve (Rire). Qu’on le veuille ou non, certaines parties de golf sont autant amicales que professionnelles. Le golf est l’un des seuls sports où il y a autant de relationnel. Au Comité Olympique, nous organisons chaque année un tournoi de golf nommé à présent « Golf to Paris ». C’est important notamment pour les bonnes relations avec les sponsors du Comité Olympique. Tant mieux ! Le golf c’est parfois joindre l’utile à l’agréable !
P : Celui qui ne joue pas au golf ne peux pas comprendre ça. Dans mes activités, dans mes organisations, 80% de mes clients sont des relations que j’ai dans le monde du golf. Le fait de jouer, d’être présent aux événements et le fait d’être plutôt un bon joueur est quelque chose qui renforce fortement le relationnel. Jean-Michel et moi sommes tous les deux single et les gens apprécient de jouer avec nous parce que nous jouons bien et que nous sommes des compétiteurs. Sans se prendre au sérieux mais en le faisant sérieusement !
J-M : Le golf donne l’occasion de rencontrer des personnes importantes dans un autre contexte. Tu noues une relation pendant quatre heures et ça n’a pas de prix. Tu ne connais pas ton partenaire et si tu l’avais rencontré dans une réception, tu n’aurais peut-être pas été présenté. Là, tu fais équipe avec lui, tu discutes, tu te motives, tu t’encourages. Au final, tu passes un bon moment, tu prends un verre et voilà. Comme ça, tu ouvres une porte pour la suite, que ce soit dans le privé ou dans tes contacts professionnels.
P : Celui qui ne joue pas au golf élargit son réseau en sortant par exemple dans les afterworks. Mais il faut en faire beaucoup pour avoir le résultat d’une partie de golf ! Il ne s’agit pas de quatre heures passées avec une seule et même personne. Et c’est dans le brouhaha, à boire des verres. Si tu joues avec un patron d’entreprise brillant dans son domaine mais golfeur moyen, il te remerciera de chercher sa balle dans le bois.
BIRDIE: Lequel de vous deux a commencé le golf en premier ?
P : C’est moi, en 1994. J’ai été invité à une initiation à laquelle je suis allé avec les pieds de plomb parce que j’avais en tête tous les clichés du golf. Je trouvais que ce n‘était pas un sport, que c’était une activité de snobs, un sport pour les vieux dans lequel on ne transpire pas. Je ne comprenais pas l’intérêt de jouer au golf : taper dans la balle puis marcher pour retrouver sa balle… Je me suis retrouvé au Five Nations à Méan et le pro a fait une démonstration au-dessus du trou numéro 4. Quand je l’ai vu taper, je me suis dit « C‘est peut-être un sport de vieux mais c’est un bel endroit ». J’étais un peu impressionné. Et puis il a planté son tee et s’est mis à genoux. Il a swingué à 200 mètres en étant à genoux ! Le compétiteur que je suis était un peu excité et avait envie d’essayer. Au practice, j’ai essayé de taper la balle et je suis passé à côté. Puis j’ai fait cinq mètres, vingt mètres, je suis repassé à côté, je ne prenais aucun plaisir. Et c’est là que le pro m’a dit « Toi, tu dois jouer en gaucher à mon avis, ta main droite est trop forte ». J’ai pris un club gaucher et la première balle est partie à 150 mètres avec un fer 5. À cette seconde, j’ai su que ma vie allait changer. Depuis j’ai transmis le virus à mes amis, mon frère, mes ex-femmes (Rire). J’ai amené des dizaines de personnes au golf et toutes mes vacances sont organisées autour du golf.
Philippe Saive à l’édition 2021 de l’Invitational Golf Cup by Henri Leconte & Friends
BIRDIE: Et toi Jean-Michel, dans quelles circonstances as-tu commencé le golf ?
J-M : C’est Philippe qui m’a amené au golf. Je l’ai fait en deux temps parce qu’en 1994, il m’a amené en hiver, au mois de novembre à Méan. Il pleuvait, il faisait froid. En plus c’était la période où j’étais numéro un mondial donc je ne pouvais pas prendre quatre heures, deux heures avec le practice avant, six heures au total plus l’aller-retour. Mais j’ai quand même fait par au 1. Tu imagines ! Mon premier trou, j’ai fait un par ! Après j’ai arrêté jusqu’aux Jeux d’Atlanta, où je n’ai pas fait de médailles. Donc dans la foulée, je me suis remis à jouer. J’y allais deux à trois fois par semaine parce que je ne voulais voir personne. Là, j’ai vraiment décollé. Et puis comme Philippe, aujourd’hui toutes mes vacances sont pour le golf.
BIRDIE: Passer du polo de ping-pong au polo de golf paraît assez simple. Mais qu’en est-il des shorts ? Est-ce que vous les retroussez comme au ping ?
J-M : Philippe ne les a jamais retroussés ! J’avoue que je mets ma casquette à l’envers au golf. Neuf fois sur dix, on ne me fait pas de remarque, mais de temps en temps, j’entends « c’est pas l’étiquette ». Alors je rappelle au gentil donneur de leçons qu’au moment où il me fait la remarque, il y a des gens qui meurent de faim sur la planète et que la position de ma casquette n’est pas très importante. Souvent je n’ai pas de réponse. Des dirigeants de fédérations m’ont dit que c’était génial de la mettre comme ça. En fait, ça dépend de l’endroit. Quand je suis au tee du trou numéro un, à cause de ma fonction, je mets la casquette à l’endroit et si je vois qu’on fait des photos également. Sinon, sur le parcours je la mets à l’envers. J’ai passé toute ma vie en salle, je n’ai pas envie d’avoir une demi-tête bronzée (Rire).
P : C’est vrai que les golfeurs, quand il retirent leur casquette, ils ont la moitié de la tête blanche et l’autre bronzée. En plus on ne les reconnait pas.
J.M : On dit des cyclistes mais … (Rire).
BIRDIE: Comment abordez-vous vos parties de golf : vous jouez pour la compétition ou pour vous détendre ?
P : Ah non. C’est pas vraiment de la compétition mais quand tu fais quelque chose, tu as envie de bien le faire. Et même dans un esprit hors compétition, si je vais au practice, je vais taper la balle en essayant de me mettre dans les conditions pour la taper le mieux possible.
L’équipe de Philippe Saive à l’Invitational Golf Cup 2022 avec Henri Leconte à droite.
J-M : Oui, compétition, mais sans se rendre malade ! Il faut s’appliquer ! Je compte toujours parce que je veux savoir ce que j’ai fait sur le parcours.
L’équipe de Jean-Michel Saive, prête à en découdre.
BIRDIE: Peut-on dire que le golf est le nouveau sport de famille chez les Saive ?
P : Ah oui. Est-ce qu’on pratique un autre sport que le golf ensemble ?
J-M : Jamais !